Arthur Rimbaud, Ma Bohème

vendredi 29 mars 2013

Combat nu



L’Aube
Secouait en rond sa chevelure nouvelle
Accrochant aux grands bois des larmes de miel.
Je me baignais dans les rayons voluptueux,
L’herbe fraîchit et les douceurs vermeilles, heureux !

Ses hanches avaient la pureté d’un violon
D’ébène tendre, aux parfums mats des saisons.
Lèvres : mûre, framboise ; d’un souffle de couleur
Frémissaient les prairies ; « voici chanter les fleurs ! ».

Et, rêveur, je sentais la fraîcheur de mon front
Au creux de l’immense épaule ; puis à ses longs 
Reins : où la lumière coulait ; j’en bu un peu
Allongé dans les prés, sous l’étendu sein bleu…

Bohème dès lors, j’ai maudit tous les chemins,
Vogué parmi les rousseurs tumultueuses,
Arpenté tous les sentiers verts et orphelins,
Battu les vents cruels des sirènes charmeuses.

J’ai valsé sur les flots bruns des mers inconnues
– Souvent mes voiles ont pleuré dans la tempête –
Remuant les sables lourds des abîmes nus ;
Debout, contre les rafales hurlantes et bêtes.

– J’écoutais les roulis doux moussant d’écume
Des vagues d’argent, brodées de fines étoiles,
Feu follet sur l’eau, dansant comme des plumes
Près de mon cœur, gonflant comme une grande voile –.

J’ai dormi dans les cieux blonds encore chauds,
Lorsque le jour fermait doucement son volet.
Et senti les houles noires, infini sanglot,
Pleurer de longs horizons rouges et violets.

J’ai retrouvé les trésors que l’homme oublia.
Blanche Liberté, ainsi qu’une femme à genou.
J’ai étreint son puissant corp, riant près des bois,
Portant son mouchoir d’azur aux papillons fous.

Au bout, Enfant, j’ai vu ce que l’homme appauvrit :
Le sirop de sang roux gonflant la terre bleue,
Le cosmos végétal – les pierres flamboient et rient ! –
L’Aurore me dit son nom, mariant mers et cieux.

2 commentaires:

  1. J'ai fait un beau voyage sur un bateau pris de boisson, bousculé quelque peu dans le courant, tournoyant par instants, mais avec une destination bien réelle. J'ai trouvé ce poème fort intelligent, maîtrisé sous ses apparences désinvoltes.

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  2. Eh ben dites-donc, ça c'est de l'envolée ou je ne m'y connais pas !...

    Hymne à la nature naissante, allégorie de la femme-violon. Vous savez jouer de ses cordes et de ses résonances.

    J'aurais voulu isoler quelques vers pour les mettre en exergue mais tout se vaut et me semble égal dans le genre.

    J'ai beaucoup aimé cette fraîcheur trompeuse et les associations tantôt insolites (les cieux blonds encore chauds, le sirop de sang roux), tantôt plus classiques (le puissant corps, le feu follet sur l'eau), ces dernières ayant à mon avis l'effet paradoxal, dans cet ensemble qui joue sur le décalage rythmique et sémantique, de désorienter un peu plus le lecteur.

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